Inaptitude des agents RATP: réforme médicale ou licenciement discriminatoire ?
La RATP, aujourd'hui constituée sous forme d'EPIC, est une entreprise publique à statut dont l'origine provient de la période de l'après-guerre de 1945.
Il s'agit du statut du personnel, qui est la contrepartie à l'exécution du service public et à ses sujétions. Le statut des entreprises publiques a le caractère d'un acte administratif réglementaire.
A la RATP, c'est une commission mixte paritaire, constituée de représentants de l'Etat, de l'entreprise et des organisations syndicales représentatives, qui a élaboré le statut du personnel (décret du 19 décembre 1960 modifié).
C'est cette commission qui, aujourd'hui encore, donne son avis sur les éventuelles modifications des dispositions du statut, qui doivent ensuite faire l'objet d'une délibération de la RATP.
Conformément aux principes généraux, le juge judiciaire est compétent pour interpréter un acte administratif de nature réglementaire et à contrôler son application du fait de sa compétence pour connaître d'un litige de droit du travail opposant un agent à son employeur gérant un service public de nature industrielle et commerciale.
Sur le plan des relations collectives du travail, les dispositions statutaires peuvent être complétées par des accords et conventions collectives "dans les limites fixées par le statut". Ces accords collectifs ne peuvent donc pas contredire le statut (par exemple Chambre sociale Cour de cassation, 12 juillet 1999, n°98-20837).
Au plan des relations individuelles du travail, les dispositions statutaires n'excluent pas le code du travail. Elles se combinent avec les dispositions du code du travail, de la même manière qu'une disposition d'une convention collective (Chambre Sociale Cour de cassation, 16 septembre 2015, n°14-14530).
De plus, l'article L 1211-1 du code du travail qui régit l'exécution et la rupture du contrat de travail dispose que les "dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé. Elles sont également applicables au personnel des entreprises publiques employé dans les conditions de droit privé sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel".
Seules les nécessitées liées à l'exécution du service public peuvent écarter l'application du code du travail et le juge doit "tenir compte de l'économie générale du statut et notamment des limitations qu'il peut apporter à la possibilité pour l'employeur de mettre fin au contrat" (Conseil d'Etat, 29 juin 2001, n°222600, à propos du statut de la SNCF qui prévoyait la possibilité de modifier unilatéralement le contrat de travail).
Conformément au principe d'ordre public social, c'est la règle la plus favorable qui doit s'appliquer au salarié, notamment en matière de licenciement pour inaptitude, d'autant que les dispositions du code du travail relatives à l'inaptitude, qu'elle soit d'origine professionnelle ou non, ne heurtent nullement les nécessités d'exécution du service public.
En matière d'inaptitude, le statut du personnel de la RATP prévoit l'intervention d'un organisme non prévu par le droit commun du travail, à savoir une commission médicale donnant son avis sur l'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise, entrainant dès lors une réforme médicale avec mise à la retraite. Une commission d'appel est également prévue.
L'agent peut être assisté par son propre médecin devant cette commission. Il s'agit donc pour lui d'une garantie statutaire.
Depuis plusieurs années, la RATP soutient devant les tribunaux que son statut distinguerait deux types d'inaptitude, qui entraîneraient deux types de réforme de nature médicale, en fonction des articles 97 et 99 d'une part et l'article 98 d'autre part.
Plus spécifiquement, à défaut de réforme médicale entérinée par la commission médicale, il y aurait, à partir des avis d'inaptitude délivrés par le seul médecin du travail, une "réforme pour impossibilité de reclassement" en vertu des articles 97 et 99 du statut et qui équivaut au licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement dans les entreprises privées.
La RATP s'appuie sur les dispositions du code du travail conférant au médecin du travail la compétence et le pouvoir de déclarer inapte un salarié à tout poste dans l'entreprise en précisant même que l'état de santé fait obstacle à tout reclassement, d'autant plus que l'obligation de reclassement pesant sur l'employeur a été allégée depuis la réforme de la médecine du travail issue de la loi "travail" du 8 août 2016.
Dès lors, de telles conclusions peuvent se heurter, à la RATP, avec les conclusions de la commission médicale qui peut estimer, au contraire du médecin du travail, que l'agent n'est pas inapte définitif à tout emploi.
La RATP soutient dès lors, passant outre l'avis de la commission médicale, que l'agent peut être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en fonction des articles 97 et 99 du statut.
Une telle argumentation de la RATP participe d'un mouvement initié depuis plusieurs années, qui rencontre parfois un écho en jurisprudence, tendant à appliquer au personnel un mode de rupture du contrat de travail à partir des articles 97, 98 et 99 du statut.
A vrai dire, rien n'autorise une telle lecture dans le statut du personnel. Il n'est en effet indiqué nulle part dans le statut que, à défaut de réforme médicale qui implique la reconnaissance de l'inaptitude à tout emploi par la commission médicale, le salarié "retomberait" sur un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il conviendrait au moins que les salariés en soient avisés lors de leur saisine de la commission médicale puisque le risque pour ces agents est de se retrouver licencié et sans être mis en retraite...
Or il est important de resituer ces articles.
Les articles 97, 98 et 99 relèvent exclusivement du titre VI du statut du personnel lequel est strictement consacré à la "situation des agents en position de maladie, maternité, accidents du travail, inaptitude à l'emploi statutaire".
Le chapitre consacré aux articles 97,98 et 99 s'intitule plus précisément "situation des agents en position d'inaptitude à leur emploi".
En vertu de l'article 97, l'inaptitude à l'emploi statutaire, provisoire ou définitive, relève de la seule compétence du médecin du travail.
L'article 98 dispose que "l'inaptitude définitive à tout emploi à la Régie relève de la seule compétence de la commission médicale et entraine obligatoirement la réforme de l'agent concerné".
L'article 99 dispose que "l'agent faisant l'objet, après avis du médecin du travail, d'une décision d'inaptitude définitive, peut être reclassé dans un autre emploi. Si l'agent n'est pas reclassé, il est réformé".
Il est important de relever que ces articles ne règlent donc nullement les conditions de sortie des effectifs du personnel sous statut.
Dès lors, ce n'est pas parce qu'un médecin du travail peut déclarer inapte définitif un agent à son emploi statutaire et préciser dans le même temps que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise que cela vaut autorisation pour la RATP à réformer le salarié pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement puisque, précisément, la commission médicale, seule compétente, est d'un avis contraire quant à l'inaptitude à tout emploi.
La commission médicale est en effet seule compétente pour statuer sur l'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise, comme l'a reconnu la Cour de cassation (15 mars 2006, n°04-43349; 15 mars 2011, n°09-70844).
Très souvent la RATP soutient que ces arrêts concernent des faits antérieurs à la parution du décret 2008-637 du 30 juin 2008 portant règlement des retraites du personnel RATP et son article 13 qui prévoit que tout assuré (...) peut demander sa mise à la réforme.
Mais une décret sur les retraites n'est qu'un texte du droit de la sécurité sociale et non pas du droit du travail et la Cour de cassation a statué par rapport au statut du personnel qui, lui, n'a nullement été modifié.
En outre, il existait au sein de la RATP, jusqu'au 28 février 2017, une instruction générale n°6/VII qui prévoyait expressément le "défèrement" de l'agent inapte définitivement à son emploi statutaire (articles 97 et 99) à la commission médicale (article 99).
Même si cette instruction a été abrogée par une instruction générale 6 A du 1er mars 2017, elle démontre bien le lien qui existait entre entre l'article 99 du statut et les articles 97 et 98 qui le précèdent puisque, dans les deux cas, l'instruction générale est prise en vertu de l'article 99 du statut et cela explique pourquoi il est encore mentionné dans ce dernier article que "si l'agent n'est pas reclassé, il est réformé" (sous entendu par la commission médicale et à condition qu'elle se prononce en ce sens).
En tout état de cause, l'instruction générale n°6 A, actuellement en vigueur, ne traite que de la composition et du fonctionnement de la commission de reclassement des agents inaptes à leur emploi statutaire et même à tout emploi déclaré selon le médecin du travail.
Or à aucune moment cette instruction générale ne fait état, même pour un agent déclaré inapte à tout emploi par le médecin du travail (article 2), de la possibilité de le réformer pour inaptitude et impossibilité de reclassement, ce qui démontre a fortiori que l'article 99 ne permet donc pas une telle mise à la réforme et qu'à tout le moins il n'est pas scindable ni de l'article 98, ni de l'article 97.
Par conséquent, il ne saurait y avoir, selon nous et en vertu de "l'économie générale du statut", de possibilité pour la RATP de "réformer pour inaptitude et impossibilité de reclassement" basée sur les seules dispositions des articles 97 et 99 du statut, revenant en effet à priver les agents de la garantie statutaire instituée à l'article 98.
En revanche, il est bien clair que les conditions de la "cessation des fonctions" à la Régie se situent dans le titre IV du statut.
Avant sa modification en 2020, l'article 43 prévoyait: "la cessation des fonctions résulte, en dehors du décès: de la démission, du licenciement, de la révocation, de la réforme ou de l'admission à la retraite".
Et cette mise à la réforme est prononcée, en vertu de l'article 50, par le Président directeur général sur proposition de la commission médicale et l'agent réformé est alors soumis aux dispositions du règlement de la retraite (article 13 issu du décret du 30 juin 2008 ou ancien article 18).
En outre, en sa version adoptée le 26 octobre 2020, le statut du personnel a été modifié sur certains points et en ce qui concerne l'article 43, il a été introduit, comme mode supplémentaire de cessation des fonctions, la rupture conventionnelle et le licenciement consécutif à l'émission d'un avis d'incompatibilité au sens de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités et (...) contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
L'article 43 n'a donc nullement été modifié en ce qui concerne la mise à la réforme et il n'a été nulle part introduit la moindre disposition relative à une réforme pour inaptitude et impossibilité de reclassement dont se prévaut la RATP devant les tribunaux.
Il appartient donc aux agents de la RATP et à leurs avocats de bien expliquer ces dispositions disctinctes devant les juridictions, prud'homale et d'appel.
A partir du moment où la commission médicale s'oppose à la réforme médicale (et donc par répercussion à l'attribution d'une pension de retraite immédiate), le salarié ne peut manifestement pas être licencié pour impossibilité de reclassement, sous peine de nullité de la rupture par violation de l'article 98 du statut.
Il est important de noter que le droit à la protection de la santé est garanti par l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 et que dès lors la rupture du contrat, qui intervient par hypothèse en raison de l'état de santé, viole un droit fondamental (Chambre sociale Cour de cassation, 11 juillet 2012, n°10-15905).
Il s'agit d'une discrimination prohibée par la loi.
La nullité de la rupture du contrat entraîne dès lors un droit à réintégration si le salarié le souhaite, outre l'indemnisation de son préjudice.
Â
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