Chefs de jugement critiqués et procédure d'appel sans représentation par avocat
Depuis le décret n°2017-891 du 6 mai 2017 applicable aux appels formés à compter du 1er septembre suivant, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts, après trois avis émis le 20 décembre 2017, relatifs à la procédure d'appel avec représentation obligatoire par avocat au vu de l'article 901 du code de procédure civile (CPC), qui prévoit que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, "à peine de nullité", un certain nombre de mentions dont celle-ci:
"les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".
L'article 562 du même code précise que "l'appel défère à la Cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".
La Haute juridiction juge que, dès lors que la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, celle-ci se bornant à énumérer des demandes de l'appelante, l'effet dévolutif de l'appel n'opère pas et la cour d'appel n'est en conséquence saisie d'aucun chef du dispositif du jugement (par exemple Cour de cassation, Chambre civile 2e, 30 janvier 2020, n°18-22528; 2 juillet 2020, n°19-16954, Chambre sociale 14 octobre 2020, n°18-15229, ces arrêts étant tous publiés au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation).
La Cour de cassation estime que cette obligation:
- est dépourvue d'ambiguïté
- encadre les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit
- a pour but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l'efficacité de la procédure d'appel
- ne porte pas atteinte en elle même à la substance du droit d'accès au juge d'appel
-peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond (article 910-4 alinéa 1).
Ne s'agissant ni d'une nullité, ni d'une irrecevabilité, la Cour d'appel n'a d'ailleurs pas à confirmer le jugement mais simplement à constater qu'elle n'est pas valablement saisie.
Ces arrêts concernant la procédure avec représentation obligatoire, il était peut-être permis de penser que la position de la jurisprudence serait différente en matière de représentation non obligatoire, la rédaction de l'article 933 du CPC étant que la déclaration "désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs de jugement critiqués auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".
La procédure d'appel sans représentation obligatoire concerne désormais principalement le contentieux de la sécurité sociale, s'exerçant en première instance devant le pôle social du Tribunal judiciaire.
L'article 933 ne reprend pas l'expression "à peine de nullité" de l'article 901 et ne fait pas état de chefs de jugement "expressément critiqués". Les chefs de jugement expressément critiqués sont ils différents des chefs de jugement simplement critiqués, comme aurait pu dire KAFKA ?
Un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2020, concernant un jugement d'un TASS, pouvait encore laisser planer un doute dans la mesure où l'appel portait sur la nullité du jugement et la Cour, statuant uniquement au visa des articles 549, 561 et 562 du CPC, a jugé que la Cour d'appel était saisie dès lors de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel et tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité.
L'argumentation de la Cour de cassation sur la représentation par un professionnel du droit n'est par hypothèse plus transposable à la matière, pas davantage que le délai pour conclure de l'article 910-4, la procédure restant orale (article 946 du CPC).
Or les deux chambres de sécurité sociale de la Cour d'appel de Paris ne font pas de distinction à ce sujet (voir par exemple Pôle 6, Chambre 12 et 13, 6 novembre 2020, n°18-07792 et 18-02039).
Dans ces affaires, la Cour d'appel a constaté qu'elle n'était pas valablement saisie au motif que les déclarations d'appel ne contenaient pas les chefs du jugement critiqués, se contentant de faire état simplement de demandes.
Elle vise aussi bien l'article 562 que 933 du CPC et reprend donc la motivation habituelle sauf bien entendu le recours à un professionnel du droit et le délai pour conclure de l'appelant ...Peu important d'ailleurs les conclusions ultérieurement développées qui ne peuvent régulariser le vice de forme initial.
Les particuliers qui interjettent appel vont être les plus nombreux à subir cette jurisprudence mais le service juridique de l'URSSAF s'est lui même laissé prendre à ces subtilités (Cour d'appel Pôle 6 chambre 12, n°19-03022), ce qui n'était certainement pas l'objectif du pouvoir réglementaire ayant institué ces textes !
Pourtant, dans cette affaire, la déclaration de l'organisme mentionnait qu'il était fait appel d'un jugement ayant annulé un redressement "au motif que le report de date de première visite de contrôle intervenu convenu entre le comptable de la société et l'inspecteur du recouvrement est parfaitement régulier et ne vicie pas la procédure de contrôle réglementée par l'article R 243-59 du code de sécurité sociale. Cet appel est total".
Bien que cette dernière expression ne soit plus recevable en tant que telle, la déclaration semblait néanmoins satisfaire à l'exigence des textes. Or la Cour d'appel a jugé que la déclaration d'appel ne visait pas l'annulation du redressement en tant que chef du jugement critiqué mais visait le motif de l'appel selon lequel la procédure de redressement de cotisations serait régulière.
La question est dès lors de savoir ce qu'on entend précisément par "chefs du jugement critiqués", d'autant que la matière est souvent technique et que les demandes rejetées par le Tribunal ne font pas nécessairement l'objet d'un dispositif détaillé.
On voit bien que par la complexité et la subtilité des mentions devant figurer sur une déclaration d'appel, les personnes physiques ou les entreprises qui souhaitent faire appel d'un jugement en matière de sécurité sociale auront tout intérêt à recourir à un avocat dès la déclaration d'appel.
Cela ne serait pas le moindre des paradoxes dans cette procédure censée être sans représentation obligatoire.
- janvier 2023
- décembre 2021
- septembre 2021
- mars 2021
- juin 2020
- mars 2020
- février 2020
- novembre 2019
- octobre 2019
